Noirmoutier-en-l'Île - Aquarelle par PYB, auteur de ce texte

Un merveilleux texte rempli de tendresse et d’émotion 

    Si il n’y avait pas eu la guerre…..

 C’est un exercice difficile que de réécrire l’histoire. Certains grand auteurs s’y sont essayés et ont brillamment réussi. Je n’ai sans doute pas leur talent et je n’ai pas de raison d’avoir une telle ambition sur un sujet aussi personnel. Il y a pourtant une question que j’aurais pu me poser depuis longtemps « Si il n’y avait pas eu la guerre…serais-je le même aujourd’hui ? »

Je suis né en 1938 et je n’ai connu mon père qu’en 1945. Sept années ou presque sans se voir, sans s’entendre, sans se toucher; sept années durant lesquelles j’ai grandi et découvert la vie sans avoir  auprès de moi la présence parait-il rassurante et formatrice de cette personne forte et aimante à la fois, que l’on appelle un Papa.
Maman était institutrice et Papa militaire de carrière. Deux parents au service de la Nation. J’avais tous les atouts en main pour devenir un parfait citoyen français. Le bébé que j’étais n’avait évidemment aucune perception de ce qui se tramait au delà du Rhin et je suppose que mes parents étaient trop heureux d’avoir un petit garçon tout neuf pour imaginer que ce bonheur familial serait de courte durée. Papa a naturellement été appelé sur le front dés les premiers jours de la guerre. Je n’avais qu’un peu plus d’un an et bien sûr aucun souvenir si ce n’est ce que Maman a pu me raconter par la suite. Mon Papa m’avait-il pris dans ses bras, donné le biberon, bercé pour m’endormir ou encore dressé au dessus de sa tête comme roi Lion pour monter sa fierté d’avoir un aussi beau bébé ? Je ne crois même pas si le savoir a de l’importance pour moi pas plus que je ne saurai jamais si cela avait de l’importance pour lui.

Je n’ai jamais été malheureux. J’ai grandi sous l’aile protectrice de ma Maman qui a reporté sur moi tout l’amour qu’elle avait pour son mari absent. Papa s’est trouvé sur le front de la Belgique en mai 40 lorsque certaines unités de l’armée française ont reçu pour mission de bloquer les troupes allemandes le temps de permettre aux forces britanniques d’embarquer à Dunkerque. La mission a été remplie mais les soldats français n’on eu comme récompense que de devoir se rendre, avec le honneurs certes, mais avec pour destination les camps de prisonniers allemands.

Papa s’est retrouvé, en tant que sous-officier, dans un stalag perdu aux confins de la frontière polonaise, dans une région très rude et bien éloignée de notre village vendéen. Maman est restée longtemps sans nouvelle. Une lettre est enfin arrivée, la libérant d’un grand poids car elle savait Papa vivant mais la laissant aussi sans espoir de le revoir très vite. La France était défaite sur tous les fronts. L’Allemagne n’était pas prête de libérer ses prisonniers.

Quand mon esprit a commencé à s’éveiller au monde, j’ai appris à vivre avec un Papa virtuel. Beaucoup de mes amis avait retrouvé le leur et je les enviais. Maman me le faisait connaitre peu à peu avec des photos, celle de leur mariage et quelques images en noir et blanc sur des clichés aux bords dentelés. Je ne sais pas non plus si j’ai appris à aimer ce Papa de papier. Je crois que je l’ai surtout idéalisé grâce aux descriptions de Maman et surtout aux projections que je me faisais de tout ce que je ferais avec lui quand il reviendrait. J’avais ainsi promis à ma petite voisine de me marier avec elle dés que mon Papa serait de retour

Lorsque j’ai su lire, Maman me montrait les lettres qu’elle recevait. Elles n’étaient pas nombreuses et arrivaient avec d’horribles cachets en allemand après avoir été visées par la censure. Je n’avais droit évidemment qu’aux passages me concernant. J’étais fier de ce Papa mythique qui m’envoyait de si loin de tendres bisous. 

Ce n’est que bien plus tard, quand j’ai été papa à mon tour, que j’ai réalisé que je n’avais jamais joué avec lui, jamais connu des moments de fou-rire à deux, jamais entendu non plus sa grosse voix me disputant quand je faisais des bêtises. J’ai surtout réalisé qu’il n’avait jamais lui non plus connu ces moments générant les véritables liens qui doivent exister entre un père et son fils et participant à la construction de la personnalité du petit garçon.

Papa est revenu. Il avait vécu une captivité éprouvante, et malgré deux tentatives d’évasion, n’a retrouvé la France qu’en 1945 quand les troupes russes et américaines ont occupé la totalité du territoire allemand; il a encore la chance d’être rapatrié assez vite alors que son stalag était en zone russe. Nous sommes partis un soir avec Maman, conduit par un ami garagiste, jusqu’à la gare de la ville où devait arriver le train de Paris. J’avais jusque là un Papa idole, paré de toutes les qualités. Est arrivé un homme, encore vêtu de sa capote militaire et de son calot, une ombre immense sur un quai de gare mal éclairé. J’ai toujours cette image devant les yeux. Il a embrassé maman bien sûr puis m’a pris dans ses bras et serré très fort comme si il voulait rattraper six années sans manifestation d’affection.

J’avais un Papa. Lui, n’avait pas de petit garçon. Il m’a toujours traité comme un adulte, avec tendresse certes, mais sans ces gestes et ces indulgences que l’on doit avoir avec les enfants encore en bas âge. J’ai continué à vivre heureux, sans ressentir la moindre frustration. J’étais enfant unique et je n’ai jamais manqué matériellement de rien. Papa suivait avec attention mes activités scolaires ce qui était facile car j’étais un bon élève. Il ne me disait jamais qu’il était fier de moi mais je le devinais quand il parlait de moi à des tiers. J’ai très vite appris à être obéissant et en même temps à éviter les conflits. Papa avait vécu des années épouvantables qui lui avait durci le caractère. Une fois rentré, il voulait profiter de la vie mais de ce fait avait tendance à manifester une autorité intransigeante et une impatience constante. Il se mettait facilement  en colère quand les choses n’étaient pas conformes à ses attentes. L’équilibre était assuré par Maman qui m’accordait tout son amour et sa patience.

Pourtant, il m’a toujours fait confiance pour les choses importantes. Il m’a accompagné dans toutes les étapes de ma vie d’enfant puis de jeune homme. Il a accepté de  faire de sérieux sacrifices pour me permettre de faire des études supérieures dans une grande école. Il a accueilli à bras ouvert la jeune fille dont je suis tombé amoureux. Le père parfait.
Il est mort sans doute trop jeune, avant que je ne me sente capable d’aborder cette question cruciale: quel Papa aurais-tu été  si il n’y avait pas eu la guerre ? Question un peu paradoxale puisque j’ai réussi ma vie sans éprouver un véritable manque. Sauf que je sais intuitivement que nous avons sans doute raté tous les deux quelque chose, l’échange proprement charnel qui nait naturellement entre le bébé qui grandit et le Papa qui l’aide à grandir.                                                                  

Texte et aquarelle par PYB