Le mercredi 28 août 1907, le Quimperlois de l’Union Agricole et Maritime se délecte des péripéties du tribunal correctionnel de Quimperlé, qui, une semaine plus tôt, avait eu droit à un menu copieux d’affaires… bien dans l’air du temps. Jugez plutôt :
Affaire n°1 : La petite voleuse de Pont-Aven.
Anna Kerlo, 13 ans, a trouvé un moyen original d’arrondir les fins de mois : elle chaparde chez Mme Marie-Jeanne Olbec, blanchisseuse, un pantalon, deux serviettes et une taie d’oreiller. Rien de très extravagant, me direz-vous, mais Anna ne s’arrête pas là : elle court écouler son trésor à Anne Mestric (femme Canévet), qui débourse la somme faramineuse de 70 centimes. Avec une telle fortune en poche, Anna fait preuve d’une rare générosité : elle remet le butin à sa maman, Marie-Jeanne Le Goff (femme Kerlo).
Hélas, la justice n’a pas le sens de l’humour : 20 jours de prison pour complicité pour la mère et la receleuse. Quant à Anna, jugée « sans discernement » (un joli synonyme de « gamine inconsciente »), elle échappe à la prison mais finit à l’assistance publique. Une petite carrière criminelle vite avortée.
Affaire n°2 : Le coup de sang du sieur Péron.
Dans un registre moins léger, le sieur Péron, manifestement dépourvu de patience filiale, s’est laissé aller à quelques voies de fait sur son père de 68 ans. La description des faits reste vague, mais le tribunal a tranché : un mois de prison pour cet élan de « tendresse ». Une leçon ? Espérons-le.
Affaire n°3 : Les voleuses de copeaux.
À Nizon, c’est une affaire de bois, ou plutôt de copeaux, qui enflamme la chronique. Sur un chantier tenu par M. Thomas Conan, trois femmes s’organisent pour subtiliser un peu de matière première. À force de récidives (le bois devait vraiment être bon !), elles finissent par récolter ce qu’elles méritent : 8 jours de prison pour certaines, 15 pour une récidiviste. Moralité : voler du bois, c’est risqué, surtout à répétition.
Affaire n°4 : Une autre histoire de bois.
Décidément, Pont-Aven a une passion pour les larcins sylvestres ! Cette fois, c’est une certaine femme Le Cam qui s’illustre en subtilisant du bois à M. Bergé, entrepreneur. Résultat : 15 jours de prison, et sans doute une réputation qui la précédera pour un moment.
Ainsi pourrait s’achever la session judiciaire de ce mardi 20 août 1907, avec une moralité simple : que l’on vole des copeaux, des pantalons ou la paix familiale, le tribunal de Quimperlé veille… et distribue généreusement des jours de prison.
Affaires banales et fréquentes, me direz-vous, pour un tribunal correctionnel. Mais ce 20 août 1907, la salle d’audience ressemble davantage à un théâtre en pleine première qu’à un temple de la justice. La foule est au rendez-vous, plus compacte qu’un marché breton un jour de foire. L’assistance est chauffée à blanc, volubile comme jamais, et l’ambiance pourrait faire penser à un fest-noz.
Il faut dire que les spectateurs ne sont pas arrivés là en se contentant d’une simple infusion. Non, ils ont soigneusement préparé leurs gosiers, avec des étapes stratégiques chez les débitants quimperlois. Les dernières chopines ? Sans doute éclusées chez Phine Caudan, femme Cadic, ou chez Marie Toulgoat, rue de la Mairie. Mais que serait un bon échauffement sans un détour chez Guite Le Gallic, femme Duparc, de la place Hervo, ou chez Anna Penverne de la rue Dom Morice ? Et, naturellement, nos vaillants Bretons ne pouvaient pas manquer l’occasion de lever un verre chez Jean Pelletier et Jeanne Formel, rue du Château. Un pèlerinage liquide bien orchestré !
Certains – voire tous, qui sait ? – firent un détour stratégique chez Jean Marie Stéphant, Louise Lavat, Marie Gautier ou encore Marie Chassetulier, les estaminets de la rue Éllé. Bien entendu, pas pour y contempler le fameux Pont-Fleuri. Non, l’objectif semblait moins bucolique et plus… disons, socialement hydraté.
Pendant ce temps, sur la place Nationale, le sous-préfet Benedetti, manifestement adepte du « mieux vaut prévenir que courir après », avait ordonné au lieutenant Sapin de mobiliser sa fine équipe de gendarmes pour éviter tout débordement. Sapin, digne dans son uniforme mais pas sans une certaine nervosité, s’était entouré du maréchal des logis Léon Joubert – réputé pour ses moustaches aussi impeccables que sa ponctualité –, du brigadier Jacques Bocquier – connu pour ses anecdotes interminables –, et du gendarme Louis Purpaud, toujours prompt à sortir une réplique bien sentie au mauvais moment.
Les autres gendarmes, ceux qui n’avaient pas l’honneur d’être sur le terrain, étaient cantonnés au numéro un de la rue de la Mairie, juste à côté du tribunal. Là, autour d’une robuste table en chêne, une ambiance presque bon enfant régnait. Alain Jaouen, Vincent Roussel (gendarme à cheval, il sera nommé à sa demande à la gendarmerie de Baud en 1908), Victor Serraud, Gabriel Prodomme, Louis Le Mercier et François Retailleau, visiblement moins préoccupés par l’éventualité d’un chaos imminent que par la justesse de leurs arguments, débattaient ardemment.
Le lieutenant Sapin avait décrété qu’il valait mieux consulter le clergé. Direction la sacristie de l’église Sainte-Croix ! Là, trônait M. le curé Alcide Péron, entouré de ses trois fidèles vicaires : François Auffret, Octave Salomon et Jean Guéguen. Si le curé, avec son air solennel et sa soutane impeccablement repassée, avait accepté d’épauler la maréchaussée en cas d’échauffourées, il ne le faisait pas de gaieté de cœur. Il faut dire que sa dernière entrevue avec le lieutenant Sapin et M. le sous-préfet Benedetti lui avait laissé un souvenir amer.
Heureusement, l’abbé Péron pouvait toujours compter sur son domestique, François Quellenec, pour veiller sur lui. Ce dernier, un colosse sculpté dans du chêne breton, intimidait même les plus téméraires. Les mauvaises langues disaient d’ailleurs qu’il suffisait d’un regard noir de Quellenec pour calmer les plus fervents « détracteurs de la paix divine ».
Mais pourquoi diable tout ce « reuz » dans Quimperlé ce jour-là ? Les esprits s’échauffaient et les langues se déliaient : les gendarmes restés à la caserne débattaient bruyamment des causes de ce remue-ménage. Dans la rue de la Mairie et sur la place Nationale, ça hurlait, ça s’agitait dans tous les sens, un vrai festival de bras en moulinets et de décibels à faire trembler les murs. Au cœur de ce capharnaüm, les pandores, l’œil affûté et la moustache sérieuse, repéraient sans peine les têtes familières des habitants du Trévoux. On aurait juré que tout ce petit bourg, pourtant tranquille d’ordinaire, avait fait le serment solennel de débarquer en masse pour envahir Quimperlé, comme une armée en campagne.
Pourquoi tout ce beau monde s’entassait-il autour du tribunal ? La réponse ne pouvait être qu’à la hauteur du spectacle : on jugeait leur curé ! Et vu l’effervescence, ce n’était sûrement pas pour une simple affaire de sermons trop longs… L’affaire du curé, qu’on pourrait croire très locale, se révèle pourtant mêlée à une autre d’ampleur nationale.
Le 3 avril 1907, soit quatre mois avant, les religieuses Ursulines de Quimperlé furent expulsées de leur monastère de Notre-Dame de la Pitié, situé sur les hauteurs de la ville de Quimperlé, au Bel Air. L’expulsion fait suite à la loi du 7 juillet 1904, ou loi relative à la suppression de l’enseignement congréganiste, dite « loi Combes », est une loi de la République française qui « interdit l’enseignement en France à tous les congréganistes et les congrégations religieuses, même autorisées, et organise la liquidation de leurs biens. Cette loi, entraîne la réorganisation de l’enseignement confessionnel par le clergé séculier et l’ouverture de nombreuses écoles privées encadrées par du personnel laïc ou sécularisé. Elle a notablement modifié la carte scolaire et renforcé la sécularisation de l’enseignement en France ».
Le titre de la loi est tout à fait explicite sur son contenu : « Loi relative à la suppression de l’enseignement congréganiste ». Elle entend obliger les frères des écoles chrétiennes à se séculariser ou à cesser d’enseigner ; concrètement, toute demande pour ouvrir une école congréganiste devient tout simplement non recevable.
Ce jour-là, 3 avril 1907, M. le sous-préfet Benedetti, accompagné du liquidateur Marcel Combe, du lieutenant de gendarmerie Sapin et de M. Tamic, huissier, ordonna de forcer les portes du couvent pour en expulser les soixante-dix religieuses ainsi que les élèves pensionnaires. Les Ursulines quittèrent alors le monastère en procession, sous les acclamations d’une foule immense, entre les gendarmes venus de Quimper et ceux de Quimperlé sous le commandement du lieutenant Sapin.
Une des religieuses nous raconte :
« Nous voilà sur la rue… En franchissant le seuil de la petite porte, instinctivement, nous avons baissé nos voiles, de sorte que nous ne voyons pas la foule, massée sur la place et contenue à grand-peine par les gendarmes à cheval.
Bien que les autorités aient eu l’impudence de dire qu’elles s’étaient entendues avec la Supérieure pour qu’il n’y ait pas de manifestations, dès que les religieuses paraissent, les cris de « Vive les Ursulines » éclatent. « Vive nos Mères, nos Mères ! Vive la liberté ».
Nous, les dernières, nous entendions ces clameurs avant de franchir la porte. Onze heures sonnaient comme la Mère Prieure sortait, elle s’avançait lentement, bien au milieu, devant le Saint-Sacrement, ainsi marchait-elle dans nos processions au couvent. Nous sommes sur la rue… l’enthousiasme des 3 000 manifestants est indescriptible. Un beau soleil de Pâques illumine cette scène grandiose. Le tumulte augmente, les chevaux excités s’énervent, se cabrent, les cordons sont rompus… On craint des accidents. »
M. le curé du Trévoux était-il présent au milieu de cette foule ? On peut aisément l’imaginer. Très ému, et sans doute gagné par une certaine colère, il regagna sa cure dès le soir même. À table, les conversations allaient bon train. M. le curé, en sa qualité de desservant, animait les échanges avec Jean-Marie Guillou, son vicaire, et Auguste Maurice, son domestique. Toujours discrète, Louise Moré, « la Karabassen » (la bonne), servait la soupe avant de retourner s’asseoir près du feu, dont la chaleur, bien qu’assez faible, apportait un maigre réconfort. Dehors, le froid mordait encore : ne dit-on pas, après tout, « En avril, ne te découvre pas d’un fil » ?
Avec le temps et les occupations quotidiennes, le curé retrouva son calme et reprit le fil de sa vie sacerdotale. Il lui arrivait de demander à Auguste, son domestique, de l’emmener en char-à-bancs jusqu’à Guilligomarch, le bourg où il était né le 16 décembre 1848, dans le village de Keryouallo. Ses parents, Paul Guyonvarch et Marie Agathe Le Tenier ont disparu depuis longtemps, mais notre bon curé, Yves Guyonvarch était parfois nostalgique. Mais ce qu’il préférait par-dessus tout, c’était retourner au Porzou, le village de son enfance situé à la frontière de la commune d’Arzano. Là, il se perdait dans les souvenirs des journées passées à pêcher la truite dans le ruisseau de Kernévez avec sa petite sœur Zoé. Avant de rentrer, il prenait le temps de rendre visite à son vieil ami Auguste Perhivin, le curé du bourg. Il en profitait pour se recueillir sur la tombe familiale, où reposaient ses parents, sa petite sœur Marie-Anne, décédée à l’âge de 19 mois, ainsi que sa sœur Marie-Hélène, célibataire, décédée en 1898 à l’âge de 44 ans.
Puis, tout bascula !
Dans la Semaine Religieuse, le journal du diocèse, il lit un article paru le 2 août qui le fait bondir :
« À Quimperlé, ils n’ont pas craint de fixer la vente du mobilier des Ursulines, expulsées en avril dernier, au dimanche 2 juin, jour de la Fête-Dieu ! Tous les ans, c’était la grande fête du couvent des Ursulines. Par les rues, tendues de blanc, jonchées de fleurs, la procession s’y rendait à la chapelle du monastère, le prêtre, élevant l’ostensoir, bénissait la ville et le peuple agenouillé. La visite du Saint-Sacrement a été, cette année, remplacée par celle des « vendeurs du Temple » et, sur les marches de la chapelle désaffectée, le marteau des commissaires-priseurs a adjugé aux enchères publiques les dépouilles des religieuses qui, depuis des siècles, répandaient leurs bienfaits dans la ville et dans toute la région.
De tels faits se passent de commentaires, c’est un odieux défi jeté aux croyances de toute une ville. Il suffit de l’avoir indiqué en ces lignes brèves pour que tous ceux qui en prendront connaissance, qu’ils soient croyants ou seulement respectueux des convenances, partagent notre indignation ! »
Le journal local L’Union Agricole annonce aussi, sans grande surprise, la vente réalisée au 13 rue Brouzic par l’huissier Tamic, sur requête de M. Combe, le liquidateur. Elle est bien prévue pour le dimanche 2 juin. Mais cette fois, il n’hésitera pas : il agira, et ce sera dimanche prochain… à l’église !
Les archives diocésaines nous relatent l’affaire : « Mr Guyonvarch, recteur du Trévoux, a comparu, le mardi 13 août, devant le tribunal de Quimperlé, sous l’inculpation de propos diffamatoires tenus contre des personnes de la paroisse. Parlant, dans une instruction pronale, du 7ᵉ commandement de Dieu, M. le recteur expliquait les différentes manières dont on prend ou on détient injustement le bien d’autrui : acheter, dit-il, un objet enlevé contre tout droit à son propriétaire légitime, c’est se faire complice du vol. Et, s’il s’agit de biens de l’église ou de congrégations religieuses, l’acquéreur, outre qu’il commet un péché, encourt une peine canonique, l’excommunication… C’était une simple leçon de catéchisme, comme en fait et fera tout prêtre, à l’occasion.
Or, quatre paroissiens du Trévoux se trouvèrent visés et, par leurs protestations bruyantes, se désignèrent eux-mêmes comme ayant acquis, dans les conditions indiquées, des objets appartenant aux religieuses Ursulines de Quimperlé. L’écho de leurs plaintes arriva au procureur de la République, qui s’empressa de prendre en main la cause et assigna M. le recteur pour diffamation. Mais, il s’est trouvé que les citations (car il y en a eu deux) étaient entachées d’un vice radical de forme. Me de Chabre, du barreau de Quimper, l’a démontré péremptoirement dans une plaidoirie pleine d’humour. Le jugement, rendu mardi dernier, n’a pu que le reconnaître en prononçant la nullité de l’assignation. Nous attendons la suite de l’affaire. »
La suite de l’affaire, c’est donc ce fameux 20 août 1907, ce jour où une bonne partie de la population du Trévoux a envahi les rues et les tavernes de la basse-ville de Quimperlé. Notre cher recteur n’a pas manqué de repérer le lieutenant Sapin, chef des gendarmes, toujours aussi hautain, planté devant l’entrée du cloître de Sainte-Croix comme s’il surveillait la queue au bistrot. Un peu plus loin, le sous-préfet Benedetti, lui, semblait avoir décidé que la meilleure façon de passer incognito était de se faire très discret. Il ne manquait plus que le liquidateur Combe et l’huissier Tamic, et on aurait cru revivre le grand théâtre du 3 avril, il y a quatre mois, le jour de l’expulsion des Ursulines.
La presse locale nous rapporte le jugement de cette audience du 20 août qui fait suite à celle du 13 où le jugement avait été renvoyé à huitaine : « Sur un incident soulevé par Me Chabre, avocat de M. Guyonvarch, recteur du Trévoux, inculpé de diffamation à l’égard du sieur Le Tallec, lui aussi du Trévoux, et tendant à faire prononcer la nullité de l’assignation délivrée à l’inculpé, le tribunal avait renvoyé à mardi le prononcé de son jugement. Il a été fait droit aux conclusions de Me de Chabre et l’assignation a été déclarée nulle. »
À l’annonce du jugement, ce ne furent pas des protestations qui retentirent, mais des cris de victoire. Fallait-il croire que toute la population présente à Trévoux était en extase devant son curé ? Probablement pas, mais on pouvait au moins supposer qu’elle était respectueuse… ou qu’elle n’avait pas osé protester. Le sous-préfet, le lieutenant Sapin et ses hommes se retirèrent discrètement, mais pas sans échanger quelques regards inquiets, redoutant des débordements dans la soirée. En effet, tous se dispersaient dans les bistrots alentours où les chopines se vidaient à une vitesse impressionnante, et où l’on ne savait plus trop si les gens se réjouissaient du verdict ou de la quantité de boissons qu’ils avaient ingéré. La joie se tassa très rapidement. Huit jours plus tard, Le Tallec, sans relâcher son attention, et surtout le procureur, toujours aussi tenace, n’ayant pas l’intention de laisser passer cette affaire, une nouvelle assignation arriva directement à M. le recteur. Yves Guyonvarch, se retrouva donc à devoir retourner au tribunal de Quimperlé, cette fois le 3 septembre. »
Nouvel article de presse le 6 septembre : « Mardi, 3 septembre, est venue à l’audience correctionnelle l’affaire de M. Guyonvarch, recteur du Trévoux, poursuivi à la requête du ministère public, pour prétendues injures à quelques habitants de cette commune, qui s’étaient rendus acquéreurs d’objets mobiliers à la vente des biens des Ursulines de Quimperlé.Au nom du « prévenu », Me de Chambre a soutenu que la nouvelle assignation (la troisième) n’était pas plus régulière que les deux premières. Le tribunal a pensé le contraire, mais aussitôt M. Guyonvarch a fait appel du jugement et l’affaire a été renvoyée pour l’examen du fond au 1ᵉʳ octobre, si d’ici là la cour de Rennes, et au besoin la Cour de cassation ont dit le dernier mot sur la qualification qu’il convenait de donner aux faits qui font l’objet de la poursuite. »
Deux articles de presse, l’un publié dans L’Union Agricole du 10 janvier 1908 et l’autre dans L’Ouest-Éclair du 9 janvier 1908, rapportent la décision rendue par la Cour d’appel de Rennes. Après avoir exposé les faits liés à l’affaire de Trévoux, ainsi que les différentes assignation depuis la date du 13 août 1907, il est précisé que M. Guyonvarch était représenté par Me Lejeune, avocat au barreau de Rennes, devant la 3e chambre de la Cour d’appel. Cette dernière a décidé de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure, prévue dans huit jours.
Le 17 janvier 1908, nouvel article dans l’Union Agricole : « À la Cour d’appel de Rennes : Dans notre numéro de vendredi dernier, nous avons dit que la Cour d’appel de Rennes avait examiné, dans son audience du 8 janvier, l’appel formé contre un jugement du tribunal de Quimperlé, par M. l’abbé Guyonvarch, recteur du Trévoux, inculpé de propos diffamatoires à l’égard, non seulement du sieur Le Tallec, comme nous l’avons dit, mais aussi de trois autres personnes du Trévoux. La Cour a rendu hier son arrêt : elle confirme le jugement prononcé le 3 septembre par le tribunal de Quimperlé, déclarant bonne et valable l’assignation délivrée pour injures publiques contre M. le recteur du Trévoux, et renvoie ce dernier devant le tribunal de Quimperlé pour qu’il soit statué au fond sur son cas. »
Un nouvel article de l’Union Agricole du 10 avril 1908 nous donne des précisions sur l’évolution de l’affaire : « Le pourvoi en Cassation formé par l’abbé Guyonvarch, recteur du Trévoux, a été rejeté par la cour par arrêt du 12 mars 1908. Par arrêt en date du 15 janvier dernier, la Cour d’appel avait préalablement confirmé le jugement de Quimperlé. Il en résulte en conséquence que l’assignation qui lui avait été donnée a été irrévocablement déclarée valable. Cette affaire reviendra incessamment devant le tribunal correctionnel de Quimperlé. »
Quelle fut donc la suite de cette affaire ? Probablement bien ordinaire, car la presse locale n’en soufflera plus mot. Peut-être Le Tallec a-t-il retiré sa plainte dans un élan d’indulgence, ou bien la condamnation (ou l’absence de condamnation) de notre cher recteur a-t-elle fini par ennuyer tout le monde. En 1911, notre intrépide curé officie toujours vaillamment au Trévoux, flanqué de son fidèle vicaire Jean Guillou. L’ancien domestique, Auguste, a été remplacé par Charles Guillerme, jardinier. Quant à la bonne, c’est désormais Françoise Audren, une Cloharsienne au caractère bien trempé, qui veille à ce que le presbytère reste aussi propre que brillant.
Le 12 octobre 1934, Yves Guyonvarch, doyen honoraire et ancien recteur du Trévoux, tire sa révérence à l’hospice de Quimperlé, au 19 place Saint-Michel. Devenu aveugle du jour au lendemain, il s’y était retiré quelques années auparavant. La presse locale nous brosse le portrait d’un homme sympathique et unanimement estimé — même par ceux qui n’étaient pas d’accord avec ses sermons.
Vingt-sept ans après sa mémorable intervention depuis la chaire de la petite église du Trévoux, un hommage solennel lui fut rendu le 15 octobre à l’église Notre-Dame de l’Assomption. Puis, une cérémonie plus intime eut lieu dans son village adoré de Guilligomarch, où il repose désormais pour l’éternité, avec l’espoir, peut-être, d’avoir enfin le dernier mot.
Ce jour-là, Notre-Dame était bondée. Parmi l’assemblée se trouvaient des employés de l’hôpital, des amis de l’ancien recteur et, surtout, sa famille, profondément endeuillée par la perte de ce vénérable abbé tant aimé. Cependant, il ne lui restait que quelques proches parents. Il y avait son frère Paul, notaire résidant au Bourgneuf, accompagné de son épouse Marie Dagorn, ainsi que leurs enfants : Yves Guyonvarch, notaire et maire de Ploemeur dans le Morbihan, également conseiller général et chevalier de la Légion d’honneur ; Paul Guyonvarch, chanoine et curé archiprêtre de Pontivy ; et leurs trois sœurs : Agathe et Marie-Élisabeth, restées célibataires, ainsi qu’Anne-Marie, mariée à Henri Guyonnet, médecin colonel et chevalier de la Légion d’honneur.
Le chanoine Paul Guyonvarch, qui avait lui aussi marqué les esprits par sa bienveillance et son dévouement pastoral, décédera à Pontivy le 13 juin 1960. À l’instar de son oncle Yves, curé du Trévoux, il avait su se faire aimer et respecter partout où il avait exercé. La mort de Marie Dagorn, doyenne de Quimperlé, suscita également une vive émotion dans la ville. Décédée le 13 décembre 1954 dans la rue du Bourgneuf, elle laissa, selon la presse locale, un souvenir unanimement regretté. Elle était tertiaire de ait-François, membre du Tiers-Ordre franciscain qui est une association pieuse laïque fondée en 1222 dans la ville de Bologne, en Italie, par saint François d’Assise, à la demande de personnes mariées voulant vivre à l’exemple des frères franciscains sans entrer dans un ordre religieux. Plusieurs noms importants du catholicisme social français du xixe siècle sont issus du Tiers-Ordre, comme Frédéric Ozanam (qui a publié les Fioretti du saint d’Assise), Mgr de Ségur (auteur en 1868 d’une brochure intitulée Le Tiers-Ordre de Saint-François), le père Dehon, mais aussi Marius Gonin et Adéodat Boissard, les cofondateurs des Semaines sociales.
Tous reposent désormais au cimetière Saint-David de Quimperlé. La dernière à s’éteindre fut Agathe, la nièce de notre cher recteur du Trévoux, portant le même prénom que sa mère. Dans les souvenirs d’une ancienne habitante du Bourgneuf, résonne encore l’écho d’une comptine enfantine, chantée en « l’honneur » de cette grande et élégante demoiselle lorsqu’elle passait. Elle s’en souvient encore :
« Agathe, mon cœur pilpate
Quand je vois tes belles nattes. »
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