Mes souvenirs d’enfance – avec l’autorisation de Fleurenn qui nous a confié ce texte. À l’aube des années 50, alors que j’étais en vacances chez ma grand-mère, je fis la connaissance, de Yacinthe korn-butun, qui portait ce surnom à cause de cette pipe toujours au coin de sa bouche. Compagnon d’armes de mon grand-père, et comme lui, rescapé de la Grande Guerre, tous les étés, il passait au penty, à la saison des moissons pour aider mes grands-parents et à l’automne pour ramasser les pommes à cidre. Poète et conteur intarissable, il adorait évoquer la vie des »poilus » dans le guêpier des tranchées, mais il se délectait surtout dans des histoires de diableries des korrigans et de bien d’autres maléfices, et qu’il enjolivait à sa manière. Il affolait ma grand-mère, très superstitieuse, elle passait son temps à faire des signes de croix pour conjurer le mauvais sort. C’est lui qui nous raconta cette lointaine histoire de la Dame à la licorne et de son soupirant, un gardien de troupeau joueur de flûtiau, celle du sonneur bossu, et la veillée s’achevait sur les histoires du ‟Gwareg da ael bugel”: ( L’arc de l’ange enfant) une sorte de Cupidon breton! …
Quand la bise d’hiver secouait la chaumière Que seules les flammes du foyer servaient de lumière, Des ombres silencieuses écoutaient le conteur Narrant tant de légendes, laissant chacun songeur… Ce gardien de troupeaux vivant d’imaginaire Voguant sur son galion qu’il appelait Chimère, Tirant de son flûtiau des sons si mélodieux, Que la brise complice portait loin dans les cieux. Une nuit, la pleine lune voilée de sa rousseur, Soudain illumina dans toute sa splendeur, Une blanche licorne que chevauchait une Dame. Elle jouait de la lyre : il en perdit son âme ! Il se sentit partir, enlevé dans les airs… On ne le revit plus, ce fut un grand Mystère… Enchaînant sur les facéties des Korrigans, Qui, les soirs de pleine lune et à minuit sonnant, Envahissaient la lande dans des danses effrénées. Gare à l’imprudent sonneur d’avoir tant tardé. Prendre le sentier de la lande quand sonnait minuit, Croyant gagner du temps, on courait aux ennuis. C’est ce qui arriva à un ‟biniaouer” bossu. Qui avait oublié l’heure et surtout bien bu. Cerné et contraint de faire danser les lutins Il ne fut libéré qu’au lever du matin. Reconnaissants, ils l’assurèrent d’une récompense. Qu’il dise ce qui lui donnera une joie immense La richesse, la puissance, l’amour et la beauté. Refusant les premiers, il choisit les derniers. Il dormit longtemps s’éveillant qu’en soirée. Il se redressa droit comme un tronc tuteuré Les Korrigans lui avaient enlevé sa bosse !… Un artisan cupide, au caractère de rosse, Eut connaissance de cette aventure du sonneur. L’orgueilleux personnage, se croyant le meilleur Par supercherie voulut berner les lutins. À la pleine lune, il prit à minuit le même chemin Que le sonneur,et comme lui il fut encerclé. Des dizaines de korrigans se mirent à danser. Au lever du jour, ils le renvoyèrent chez lui. Malicieux, ils promirent qu’avant la prochaine nuit, Le cadeau dont n’a pas voulu l’autre sonneur, Sera à lui et qu’il en médite la teneur ! Il dormit tard et se réveilla courbatu, Il portait sur le dos, la rondeur du bossu… Dans la cheminée seules quelques braises éclairaient Et notre infatigable conteur poursuivait: « Celui que touchait la flèche d’or de l’ange enfant, Cultivait un désir charnel à chaque instant. Alors rien n’arrêtait le flot de séduction, Il ne pensait plus qu’à satisfaire ses Démons. Femmes volages, filles perdues,vierges effarées Que lui importait, il aimait la variété! Et si parfois l’ivresse du chouchen le calmait L’esprit embrumé, sur le dos il s’écroulait.»
« Mes souvenirs d’enfance » – avec l’autorisation de Fleurenn qui nous a confié ce texte.