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Le premier épisode de ces chroniques retrace le parcours, bref et tragique, de Félix BLEUVEN et de ses amis quimperlois du 118e Régiment d’Infanterie depuis la mobilisation du  2 août 1914 jusqu’à leurs décès. 
Les épisodes suivant évoquent
Sébastien Ropers, marin de la France Libre, neveu de Félix. 
Mathurin BLEUZEN, un frère de Félix. 
Mathurin POSTEC, autre neveu de Félix. 

 
D’autres membres de cette famille méritent également une mention dans ces chroniques :
Cécile TANGUY, épouse de Mathurin BLEUZEN, s’est distinguée pendant la Seconde Guerre mondiale en apportant son soutien aux résistants et clandestins. En tant que concierge du Tribunal de Quimperlé, elle résidait avec sa famille place Nationale, à proximité de la Kommandantur. Une anecdote mémorable reste gravée dans la mémoire familiale : Pierre CORNEC, surnommé Pierrot, se cachait dans les combles du Tribunal. Un matin, la place fut investie par des soldats allemands, fortement armés. Cécile prit alors la décision audacieuse de traverser « l’armée allemande » en tenant Pierrot par le bras. À la surprise générale, personne ne les arrêta. Pierre CORNEC n’était pas la personne recherchée, mais aurait pu rester en sécurité dans sa cachette !!
François Louis ROPERS, « Mort pour laFrance » à Carlepont dans l’Oise le 30 mai 1918.
Alain ROPERS, « Mort pour laFrance », tombé au champ d’honneur à Damloup dans la Meuse le 24 décembre 1916.
Robert NAVINER, résistant et membre du réseau Vengeance. Après la guerre, il épousera Cécile BLEUZEN, l’une des filles de Mathurin et Cécile.

Félix BLEUVEN (1889-1914)

Au crépuscule du 22 août 1914, un jeune soldat de 25 ans, sèche ses larmes de tristesse, il pleure pour la première fois de sa vie …
Pourtant, il garde en mémoire tous les instants de bonheur qu’il a vécus le samedi 1er août, il y a à peine trois semaines. Comme l’ensemble de la population, il entrevoyait enfin la possibilité de prendre sa revanche après cette terrible défaite de 1870 contre l’Allemagne. 

Devant l’affiche annonçant la mobilisation générale, imprimée depuis 1904, placardée sur la voie publique comme dans chaque commune, annonce relayée par le tocsin sonné par les cloches des églises, il venait de retrouver ses meilleurs amis, place Nationale à Quimperlé. Ce jeune homme se nommait Gabriel GUILLOU, né le trois février 1889 à Quimperlé. Avec ses amis Félix BLEUVEN et Lucien BOULBIN, il faisait partie des jeunes appelés.

Félix BLEUVEN naît le 1er décembre 1889 à Keriquet, Bannalec. Sa sœur Marie Louise voit le jour à Bannalec en 1892, mais la famille déménage par la suite à Quimperlé, où naissent quatre autres enfants : Anna en 1893, dont le nom deviendra PLEUVEN par erreur lors de la rédaction de l’acte, Marie Joséphine en 1896, Mathurin en 1898 et Émile en 1902. Ces trois derniers enfants porteront le nom de famille BLEUZEN.
En cet été 1914, Félix exerce le métier de marchand de poisson, il est chargé de famille, son père Guillaume étant décédé en 1907. Il se lève chaque jour très tôt pour se rendre à pied au port de Doëlan et ramener du poisson frais à Quimperlé. Félix entretient une proximité particulière avec Lucien BOULBIN, devenu ébéniste, qui est né dans le quartier du Poulou. Les deux hommes sont voisins depuis des années, les parents de Félix ayant quitté la rue Mellac en 1896 pour s’installer dans la rue du Commandant du Couédic, que les Quimperlois continuent d’appeler le Poulou. Gabriel GUILLOU est cultivateur à Kerhor, en bordure de la forêt de Carnoët.
Les trois amis sont mobilisables au 118e Régiment d’Infanterie et dès l’appel ils doivent se rendre à Quimper rejoindre leur affectation. 

Félix BLEUVEN
Bleuven Félix 1889
Lucien Boulbin
Boulbin Lucien 1890
Guillou Gabriel
Guillou Gabriel 1889

La presse locale fait naturellement des comptes rendus quotidiens et le pays entier se mobilise.

Mr Courtier - Maire
Le Finistère 08/08/1914
Le Finistère 08/08/1914
Le Finistère 08/08/1914

À la gare de Quimperlé, ils rencontrent Jean Marie LE MOING, manœuvre originaire de Rédéné, également du 118e R.I. Une fois à Quimper, une atmosphère festive les accueille, le 118e étant le régiment chéri des Quimpérois. Entre le dimanche 2 août et le jeudi 6, la ville est en effervescence avec des manifestations patriotiques, des défilés, et des concerts. La « Marseillaise » résonne dans les rues, accompagnée par les hymnes nationaux de nos alliés russes, anglais et belges, suscitant des bravos et des applaudissements enthousiastes de la foule. Le défilé du dimanche deux août s’arrête même devant le domicile du Colonel FRANÇOIS où le chef de musique du 118e, M. DORNIER, fera jouer la « Marseillaise » en compagnie des tambours et clairons de la « Quimpéroise » et de la « Phalange d’Arvor ».
Le 118e Régiment d’Infanterie fait alors partie de la 22e Division d’Infanterie, du XIe Corps d’Armée et constitue, avec le 19 R.I. de Brest, la 44e Brigade. Sous le commandement du Colonel FRANÇOIS, il s’embarque le 8 août avec 55 officiers, 3.320 hommes de troupe, 12 éclaireurs montés du 2e chasseurs de Pontivy et 186 chevaux.

Quimper 118e - Le Progrès du Finistère 08/08/1914

Accueillis de manière joyeuse par les populations, le régiment rejoint Reims par Vannes, Le Mans, Versailles et la banlieue parisienne, notamment à La Varenne où la réception a été particulièrement chaleureuse.
Le 21 août le régiment se porte vers AUBY (Belgique), où il cantonne. Les soldats y rencontrent une division de cavalerie qui leur raconte ses victoires, ce qui enthousiasme les troupes. 

Le Finistère 15/08/1914

Pendant cette période, la population quimperloise, tout comme l’ensemble du pays, se mobilise et s’organise, notamment à travers des initiatives telles que La Croix Rouge. Parallèlement, un encart dans la presse informe sur les démarches à suivre pour obtenir des nouvelles des soldats déployés sur le front. Parmi les premières lettres reçues par les parents d’un appelé, la presse de Quimperlé publie celle de Julien LE MOING de Rédéné, le frère de Jean Marie qui est au 118e R.I. en compagnie de Félix BLEUVEN, Lucien BOULBIN et Gabriel GUILLOU. Julien est actuellement hospitalisé à Chartres en raison d’une blessure par balle.

Union Agricole 13/08/1914
Julien Marie LE MOING 23/08/1914.
Écho de Bretagne du 21/08/1914
Le Moing Julien Marie
Les combats de Maissin (Belgique).

Le 22 août 1914, le 118e R.I. quitte Auby à 4h45 et entre dans la colonne formée par la division à Belleveaux à 8h30. Ayant atteint la voie ferrée à Paliseul, il coupe sa marche jusqu’à 11h où il se dirige vers Maissin. La chaleur est étouffante, la nourriture manque mais le moral est excellent. Un bulletin annonce « une colonne ennemie se dirige de Tronquoy vers le N.O. Attaquer l’ennemi partout où on le rencontrera ». C’est le baptême du feu pour tous ces jeunes gens. Après de combats héroïques et des pertes énormes, Maissin est prise vers 16 heures mais une riposte ennemie entraîne l’ordre de se replier à travers bois vers Paliseul. Les actes d’héroïsme sont nombreux, certains hommes seraient restés après le repli, postés aux fenêtres des maisons pour tuer de nombreux ennemis, un à un, à mesure qu’ils se présentaient dans les rues. Félix et Lucien étaient-ils parmi ses braves ?
Les pertes sont énormes et le 118e a été très éprouvé en perdant de nombreux officiers et des centaines de soldats. plus d’infos

Éprouvé par cette journée de combats et de chagrin, nous retrouvons Gabriel GUILLOU, en pleurs. Seul Jean Marie LE MOING, le gars de Rédéné, est à ses côtés. Félix BLEUVEN et Lucien BOULBIN sont considérés comme disparus. Comme pour de nombreux « poilus », la date de leur décès sera fixée par un jugement du Tribunal, celui de Quimperlé en l’occurrence.
– Gabriel : tu te rends compte, mon pauvre Jean Marie, j’ai perdu mes deux meilleurs amis aujourd’hui.
– Yann : Genest pas certain Gaby, le Capitaine Bontz nous a dit que de nombreux soldats étaient restés à Maissin et qu’ils rentreraient sûrement demain.
Mais, à 4 heures, le lendemain, le 118e et tous les éléments de la Division quitteront Paliseul pour rejoindre Noirefontaine, par la grande route, où ils reçoivent l’ordre de s’établir, au sud du village. Gabriel ne reverra jamais ses deux amis …

Épilogue

Félix Guillaume Joseph BLEUVEN, né au village de Keriquet en Bannalec le 1er décembre 1889 est décédé le 22 aout 1914 au cours de la bataille de Maissin en Belgique, 3 semaines après le début de la guerre. Considéré comme disparu, son corps sera retrouvé et il bénéficiera d’une sépulture de guerre au cimetière mixte franco-allemand d’Anloy – Province du Luxembourg Belge (Tombe n°463).
Soldat de 2e classe, Numéro de matricule 04972 au corps et 2502 au Recrutement de Quimper – Affectation : 4e Armée De Langle De Clary, 11e Corps d’Armée du Général Eydoux, 22e Division d’Infanterie du Général Pambet, 44e Brigade d’Infanterie du Général Chaplain, 118e R.I. (sources : Mémorial GenWeb)
Guerre de 1914-1918 – Quimperlé (Finistère) : Croix de Guerre avec étoile de bronze. Inscrit sur le monument aux Morts. Inscrit sur le livre d’Or de Quimperlé. Terre – 2ème classe – 118ème Régiment d’Infanterie – Mort pour la France à Maissin (Belgique) à l’age de 24 ans : disparu. Jugement rendu par le Tribunal de Quimperlé (Finistère) le 19 mai1920 – Acte de décès transcrit à Quimperlé (Finistère) le 15 juin1920. Inscrit sur l’historique du 118ème R.I. au cours de la guerre de 1914-1918 (par le Lieutenant Seguin et le Commandant Bontz – 1923) – Maissin : Luxembourg à 40 km au N/E de Charleville-Mézières (Belgique). Sépulture : 9131 Anloy – Province de Luxembourg (Belgique – Cimetière militaire mixte franco-allemand – Tombe n° 463)
Sources : SGA – « Mémoires des hommes » et Anloy (Belgique). Soldats inhumés au cimetière franco-allemand – R. Claeys (Mémorial Gen-web relevé n° 12270), SGA « Sépultures de guerres ».

L’histoire familiale narre l’événement survenu lors des inondations de décembre 1924, où Cécile Bleuzen, la nièce de Félix, fut baptisée en arrivant à l’église Sainte-Croix en barque. Ce jour-là, pendant le repas, une scène tumultueuse se déclencha lorsqu’un perturbateur annonça le retour de Félix BLEUVEN à la gare de Quimperlé. Les convives eurent du mal à retenir Mathurin BLEUZEN, père la baptisée et frère de Félix, lui aussi ancien poilu au tempérament fougueux. L’individu indélicat échappa de justesse à une confrontation où il aurait sans doute perdu la partie. Nous retrouverons Mathurin BLEUZEN dans l’épisode suivant.

Bleuven Félix
Bleuven Félix jugement décès
Bleuven Félix SGA
Journal Officiel
Bleuven Félix transcription 15/06/1920

Lucien Joseph BOULBIN, né au Poulou à Quimperlé le 12 juin 1890, ébéniste, est décédé à Maissin le 22 août 1914, disparu. Il était Sergent au 118e R.I. Son décès fut fixé par le Tribunal de Quimperlé le 13/10/1920. Inhumé par les autorités allemandes au cimetière de Noyers-Pont-Maugis.

BOULBIN Lucien matricule
Boulbin Lucien SGA
Boulbin Lucien jugement
Boulbin Lucien

Gabriel Guillaume François GUILLOU, né à Kerhor en Quimperlé, cultivateur, a donc survécu aux combats de Maissin. Il n’a pas vécu longtemps après ses copains Félix et Lucien. Il serait décédé, disparu, entre le 13/09/1914 et le 02/01/1915. Il a été inhumé par les autorités allemandes au cimetière de Noyers-Pont-Maugis. Son frère, François Joseph Marie (93e R.I.), décèdera à la suite de ses blessures le 26 septembre 1915 à Maigneux dans la Marne à l’âge de 21 ans.

Guillou Gabriel matricule
Guillou Gabriel SGA
Guillou Gabriel transcription

Julien Marie LE MOING, l’auteur de la lettre publiée dans la presse, a repris les combats après sa blessure par balle. Il décèdera à Quimperlé le 13 août 1924 à 33 ans, laissant une jeune veuve, Anne Louise Marie Antoine MOUAL. Son frère, Jean Marie LE MOING qui tentait de rassurer Gabriel au soir du 22 août 1914, reviendra aussi de la guerre. Il était du 118e, il a combattu aux cotés de Félix, Lucien et Gabriel. Il décède en 1975 à Quimperlé.

© GB – Panoplie de vie

Sources :
– Historique du 118ème R.I. (Lt. Seguin – Cdt Bontz, Imp. Fournier, Paris – 1923)
– Journal de marche du 118e R.I. du 7 août au 4 octobre 1914 – Voir le J.M.O
– SGA – Mémoire des hommes
– Presse locale et régionale